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DE M. ANTOINE.

propre à le flatter ; car vous avez bien le moyen de l’être !…

— Il ne s’agit pas de cela, reprit le marquis ; c’est pour vous dire de ne pas tant vous démener, et de ne pas quitter vos malades pour moi. Je suis fort bien ici, et la vie d’un vieillard comme moi est moins précieuse que celle de ces jeunes enfants. Sont-ils malades depuis longtemps ?

— Depuis une quinzaine, monsieur ! Mais le plus mauvais est passé, Dieu merci !

— Pourquoi, lorsque vous avez des malades, ne venez-vous pas me voir ?

— Oh nenny ! je n’oserais pas. Je craindrais de vous ennuyer. On est si simple, nous autres ! on ne sait pas bien parler, et on est honteux de demander.

— C’est moi qui devrais venir m’informer de vos misères, dit le marquis en soupirant ; et je vois que des âmes plus actives et plus dévouées le font à ma place ! »

Gilberte se tenait au fond de la chambre. Muette d’effroi et n’osant se prêter à la ruse du charpentier, elle essayait de se dissimuler derrière les gros rideaux de serge du lit où gisait le plus jeune des enfants. Elle eût voulu n’avoir rien à dire, et, tout en préparant une tisane, elle cachait son visage tourné vers la muraille, et ramenait son petit châle sur ses épaules. Un fichu de grosse dentelle noire, noué sous le menton, cachait, ou du moins éteignait l’or de sa chevelure, que le marquis eût pu reconnaître, s’il en eût jamais remarqué la nuance et la splendeur. Mais, deux fois seulement, M. de Boisguilbault avait rencontré Gilberte donnant le bras à son père. Il avait reconnu de loin M. Antoine, et avait détourné la tête. S’il s’était vu forcé de passer près d’eux, il avait fermé les yeux pour ne point voir les traits redoutés de cette jeune fille. Il n’avait donc aucune idée de sa tournure, de sa physionomie ou de ses manières.

Jean avait su mentir avec tant d’à-propos et d’aplomb,