Page:Sand - Le Secrétaire intime — Mattéa — La Vallée noire, 1884.djvu/258

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nière d’agir des Vénitiens envers les Turcs était si peu rare, et ser Zacomo lui-même avait en sa présence usé de tant de mesquins subterfuges pour tirer d’eux quelques sequins de plus, que Mattea pouvait bien craindre, avec quelque apparence de raison, d’être engagée dans une intrigue semblable.

Ne consultant donc que sa fierté, et cédant à un irrésistible mouvement d’indignation généreuse, elle se flatta de faire comprendre la vérité au marchand turc. S’armant de toute la résolution de son caractère dans un moment où elle était seule avec lui, elle entr’ouvrit son voile, se pencha sur la table qui les séparait, et lui dit, en articulant nettement chaque syllabe et en simplifiant sa phrase autant que possible pour être entendue de lui : « Mon père vous trompe, je ne veux pas vous épouser. »

Abul, surpris, un peu ébloui peut-être de l’éclat de ses yeux et de ses joues, ne sachant que penser, crut d’abord à une déclaration d’amour, et répondit en turc : « Moi aussi je vous aime, si vous le désirez. »

Mattea, ne sachant ce qu’il répondait, répéta sa première phrase plus lentement, en ajoutant : « Me comprenez-vous ? »

Abul, remarquant alors sur son visage une expression plus calme et une fierté plus assurée, changea d’avis et répondit à tout hasard : « Comme il vous plaira madamigella. » Enfin, Mattea ayant répété une troisième fois son avertissement en essayant de changer et d’ajouter quelques mots, il crut comprendre, à la sévérité de son visage, qu’elle était en colère contre lui. Alors, cherchant en lui-même en quoi il avait pu l’offenser, il se souvint qu’il ne lui avait fait aucun présent  ; et s’imaginant qu’à Venise, comme dans plusieurs des contrées qu’il avait parcourues, c’était un devoir de politesse indispensable envers