Page:Sand - Le compagnon du tour de France, tome 1.djvu/115

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pas plus de rivalité entre eux pour le talent que pour l’amour.

— Parlez plus bas, dit l’Enfant-du-génie, qui, placé à côté d’eux, les avait entendus ; voici le Dignitaire, et si on parlait légèrement de la Mère devant lui, ça pourrait mener plus loin qu’on ne veut.

— Personne n’en parle légèrement, mon cher pays, répondit Sans-crainte.

Le Dignitaire entra. En reconnaissant Romanet le Bon-soutien, Pierre Huguenin se leva, et ils se retirèrent dans une autre pièce pour échanger les saluts d’usage ; car ils étaient Dignitaires tous les deux, et pouvaient marcher de pair. Cependant la dignité de l’Ami-du-trait n’était plus qu’honorifique. C’est un règne qui ne dure que six mois, et que deux compagnons ne pourraient d’ailleurs exercer à la fois dans une ville. L’autorité de fait de Romanet le Bon-soutien pouvait donc s’étendre, dans sa résidence, sur Pierre Huguenin comme sur un simple compagnon.

Lorsqu’ils rentrèrent dans la salle et que le Dignitaire de Blois aperçut Amaury le Corinthien, il devint pâle, et ils s’embrassèrent avec émotion.

— Soyez le bien arrivé, dit le Dignitaire au jeune homme. Je vous ai fait appeler pour le concours, et je vois avec satisfaction que vous avez accepté. Je vous en remercie au nom de la société. Mes pays, ce jeune homme est un des plus agréables talents que je connaisse : vous en jugerez. Pays Corinthien, ajouta-t-il en s’adressant à Amaury plus particulièrement, et en s’efforçant de ne pas paraître mettre trop d’importance à sa demande, saviez-vous que nous avions perdu notre excellent père Savinien ?

— Je ne le savais pas, et j’en suis triste, répondit Amaury d’un ton de franchise qui rassura le Dignitaire.