Page:Sand - Le compagnon du tour de France, tome 1.djvu/123

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Mère était guérie, et le petit s’était habitué à dormir tranquillement avec moi. Quand elle voulut le reprendre, il ne voulut plus me quitter, et il a reposé dans mes bras tout le temps que j’ai passé ici. Je crois qu’il n’y a pas de lien plus tendre que celui d’une femme avec la personne qui aime son enfant et qui en est aimée. Nous étions comme frère et sœur, la Savinienne et moi. Quand elle me parlait, quand elle me regardait, il y avait dans sa voix et dans ses yeux la douceur du paradis, et je n’étais soucieux de rien, quoiqu’il y eût auprès de nous quelqu’un qui eût pu donner bien de l’inquiétude à Savinien et à moi. C’était Romanet le Bon-soutien, aujourd’hui Dignitaire. Quel bon cœur ! quel brave compagnon encore que celui-là ! il aimait la Savinienne comme je l’aime, et je crois bien qu’il l’aimera toute sa vie. Dans ce temps-là, les affaires de Savinien étaient assez embarrassées. Il avait du crédit, mais pas d’argent ; et il était obligé de payer chaque année une partie de ce qu’il avait emprunté sur parole pour acheter son fonds. Et comme il ne gagnait pas beaucoup (il était trop honnête homme pour cela), il voyait avec effroi arriver le moment où il serait obligé de céder son auberge à un autre. Si j’avais eu quelque chose, combien j’aurais été heureux de l’aider ! Mais je ne possédais alors que le vêtement que j’avais sur le dos ; et mes journées suffisaient à peine à m’acquitter envers Savinien, qui m’avait nourri et logé gratis dans les commencements. Romanet le Bon-soutien était dans une meilleure position. Il était riche. Il avait un héritage de plusieurs milliers d’écus. Il le vendit, et le mit dans les mains de Savinien, sans vouloir accepter de billets, ni recevoir d’intérêt, en lui disant qu’il le lui rendrait dans dix ans s’il ne pouvait faire mieux. Il a agi ainsi par amitié pour Savinien, je le veux bien ; mais, sans rien ôter à son bon cœur, on peut bien deviner que la Savinienne entrait