Page:Sand - Le compagnon du tour de France, tome 1.djvu/148

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pâle comme la mort, le cœur serré, la main tremblante, elle travaillait, au milieu de la nuit, à rassembler les débris épars de ses pénates violés, de ses foyers dévastée, sans verser une larme, sans proférer une plainte.

Quand elle vit rentrer Pierre Huguenin, elle n’eut pas le courage de l’interroger ; mais elle lui sourit avec une sublime expression de joie qui semblait accepter les plus grands malheurs, en échange du salut d’un ami tel que lui. Il la prit par la main, et courut avec elle à la grange où il avait caché et renfermé le Corinthien. Durant cette retraite forcée, le désolé jeune homme, en proie à mille anxiétés, avait d’abord tenté de rentrer à tout risque dans la maison, pour savoir le sort de ses compagnons et surtout celui de la Mère. Mais l’émotion et la fatigue lui avaient ôté la force d’enfoncer les portes que Pierre, redoutant son imprudence, avait barricadées sur lui. Il était si accablé qu’il faillit s’évanouir en revoyant sa maîtresse et son ami hors de danger. On visita et on pansa ses blessures, qui étaient assez graves. On lui fit, avec des matelas et des couvertures, un lit improvisé dans une chambre qu’on lui improvisa de même, en superposant des bottes de paille dans la charpente de la grange. Il était urgent de le cacher ; car il était un des plus compromis dans l’affaire, et Pierre ni la Savinienne n’étaient d’avis de s’en remettre à l’intégrité de la justice pour distinguer les provoqués des agresseurs.

Quand Pierre eut songé à tout et épuisé le reste de ses forces, il en resta encore à la Savinienne pour le soigner, Lui aussi était blessé et affaibli, et surtout brisé dans le fond de son âme. Que ne devait pas souffrir, en effet, cette organisation toujours portée vers l’idéal, et rejetée sans cesse dans la plus brutale réalité ! Quand il fut seul, il se sentit désespéré, et, se souvenant des coups qu’il avait été forcé de porter, voyant se dresser devant lui tous les