Page:Sand - Le compagnon du tour de France, tome 1.djvu/162

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votre cœur c’est au Corinthien qu’il vous eût fiancée. Il se serait fié à l’avenir de ce jeune homme, si courageux, si bon, si habile dans son art, et aussi dévoué à sa mémoire, à sa veuve et à ses enfants que le Bon-Soutien lui-même. Je connais aussi le Bon-Soutien ; je sais qu’il a des sentiments trop élevés pour accepter le sacrifice de votre vie et de vos sentiments. Il entendra raison là-dessus. Il souffrira sans doute ; mais c’est un homme, et un homme d’un grand cœur. Il restera votre ami et celui d’Amaury. Quant à la dette, je vous prie de n’y pas penser davantage, ma Mère. Il faudra que vous rendiez à Romanet tout ce qu’il a prêté. Si, à l’époque où votre deuil doit finir, le Corinthien, malgré son talent et son courage, n’avait pu compléter cette somme, ce serait à moi de la trouver ; et ce sera votre fils qui me remboursera quand il sera en âge d’homme et au courant de ses affaires. Ne me répondez pas là-dessus. Nous avons bien des soins dans la tête, et il ne faut pas perdre de temps en paroles inutiles. Je ne dirai au Corinthien que ce qu’il doit savoir, et je me fie à l’honneur du Dignitaire pour ne pas vous adresser, pendant tout le temps que durera votre deuil, un seul mot qui vous force à un engagement ou à une rupture. Pleurez votre bon Savinien sans remords et sans amertume, ma brave Savinienne. Ne le pleurez pas jusqu’à vous rendre malade : vous vous devez à vos enfants, et l’avenir vous récompensera du courage que vous allez avoir.

Ayant ainsi parlé, Pierre embrassa la Savinienne comme un frère embrasse sa sœur ; puis il s’approcha du berceau des enfants pour leur donner aussi un baiser :

— Donnez-leur votre bénédiction, maître Pierre, dit la Savinienne en se mettant à genoux auprès du berceau dont elle soulevait la courtine ; la bénédiction d’un ange comme vous leur portera bonheur.