Page:Sand - Le compagnon du tour de France, tome 1.djvu/173

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strophe imprévue, les Bourbons venaient à être renversés, je crois que le parti ultra-libéral l’emporterait sur tous les autres.

Le vieux militaire secoua la tête ; le médecin sourit. Chacun d’eux avait une pensée différente. — Mon opinion semble erronée à ces messieurs, reprit le voyageur avec politesse : eh bien ! qu’en pensez-vous, monsieur Huguenin ? Croyez-vous que dans le peuple il y ait un autre sentiment que le sentiment républicain ?

— Je me demande comment il peut y en avoir un autre, répondit Pierre. N’est-ce pas votre opinion, à vous autres qui représentez ici le peuple avec moi ? ajouta-t-il en interpellant le Dignitaire et les autres ouvriers.

Le Dignitaire mit la main sur son cœur, et son silence fut une réponse éloquente. Le Vaudois ôta son bonnet de coton, et, l’élevant au-dessus de sa tête : — Je ne voudrais le teindre dans le sang d’aucun Français, s’écria-t-il ; mais, pour le voir arborer sur la France, j’offrirais ma tête avec.

Le maître serrurier rêva quelques instants, puis il dit d’un air réservé : — La république ne nous a pas fait tout le bien qu’elle nous promettait : je ne puis prévoir celui qu’elle pourrait nous faire à présent ; mais pour du sang, ajouta-t-il avec une rage concentrée, j’en voudrais répandre. Je voudrais voir couler celui de nos ennemis jusqu’à la dernière goutte. — Bravo ! s’écria le commis voyageur, oh oui ! haine à l’étranger, guerre aux ennemis de la France ! Et vous, et vous, maître Huguenin, quel souhait formez-vous ?

— Je voudrais que tous les hommes vécussent ensemble comme des frères, répondit Pierre ; voilà tout ce que je voudrais. Avec cela, bien des maux seraient supportables ; sans cela, la liberté ne nous ferait aucun bien.

— Je vous le disais, reprit le commis voyageur en s’a-