Page:Sand - Le compagnon du tour de France, tome 1.djvu/176

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la France a voulu adopter ? Ce que nos pères appelaient République indivisible, nous l’appelons Charte constitutionnelle. Acceptons cette dénomination, et rangeons-nous sous cette bannière, puisque c’est la seule déployée.

— Cette manière de voir simplifie beaucoup la question, répondit Pierre en souriant.

— Et maintenant qu’elle est ainsi posée, reprit le médecin, voulez-vous nous dire si vous êtes pour ou contre la Charte ?

— Je suis, dit Pierre, pour ce principe inscrit en tête de la Charte constitutionnelle : Tous les Français sont égaux devant la loi. Mais comme je ne vois pas que ce principe soit mis en pratique dans les institutions consacrées par la Charte, je ne puis me passionner pour un gouvernement constitutionnel, quel qu’il soit, tant que je verrai le texte de la loi divine écrit sur vos monuments et rayé de vos consciences. La république, dont vous invoquez le souvenir, ne l’entendait pas ainsi, je pense ; elle cherchait à pratiquer la justice, et tous les moyens lui semblaient bons. Dieu m’est témoin que je ne suis pas un homme de sang, et pourtant j’avoue que je comprends bien mieux cette rigueur sauvage qui disait aux puissances renversées : « Faites la paix avec nous, ou recevez la mort, » qu’un système vague qui nous promettrait l’égalité sans nous la donner.

— Je vous le disais ! s’écria le commis voyageur avec son ton de bienveillance hypocritement superbe ; il est montagnard, pur jacobin de la vieille roche. Eh bien ! c’est beau, cela ! c’est franc, c’est hardi. Que voulez-vous de plus ? Il faut prendre les gens comme ils sont.

— Sans doute, répondit le médecin ; mais ne pourrait-on, pour plus de franchise et de clarté, tâcher de s’entendre avec maître Pierre ? Un homme comme lui mérite