Page:Sand - Le compagnon du tour de France, tome 1.djvu/187

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l’absence de son fils ? Le bonhomme se dépitait et s’emportait ; mais, plus que tout, il s’inquiétait. Il est si exact et si preste à tout ce qu’il entreprend ! se disait-il. Il faut qu’il lui soit arrivé malheur ! Et alors il se désespérait ; car il ne s’était jamais aperçu de l’amour et de l’estime qu’il portait à son fils, autant qu’il le faisait depuis cette dernière séparation.

Comme Pierre l’avait craint, sa fièvre en augmenta ; et il n’avait pas pu quitter son lit le jour où, par bonheur, Amaury et le Berrichon arrivèrent. Chemin faisant, le Corinthien avait renouvelé à son compagnon la recommandation que Pierre lui avait déjà faite de ménager les préventions du père Huguenin à l’endroit du compagnonnage ; et, comme il lui répugnait un peu de débuter avec son nouveau maître par un mensonge, il chargea le Berrichon de porter la parole le premier. En sautant à bas de la diligence, ils demandèrent la maison du menuisier, et ils y entrèrent, l’un avec l’aisance d’un niais, l’autre avec la réserve d’un homme d’esprit.

— Holà ! hé ! hohé ! cria le Berrichon en frappant de son bâton sur la porte ouverte ; ho, la maison, salut, bonjour la maison ! N’est-ce pas ici qu’il y a le père Huguenin, maître menuisier ?

En ce moment le père Huguenin reposait dans son lit. Il était de si mauvaise humeur qu’il ne pouvait souffrir personne dans sa chambre. En voyant sa solitude si brusquement troublée, il bondit sur son chevet, et, tirant son rideau de serge jaune, il vit la figure étrangement joviale de Berrichon la Clef-des-cœurs. — Passez votre chemin, l’ami, répondit-il brusquement, l’auberge est plus loin.

— Et si nous voulons prendre votre maison pour notre auberge ? reprit la Clef-des-cœurs, qui, comptant sur le plaisir que son arrivée causerait au vieux menuisier, trou-