Page:Sand - Le compagnon du tour de France, tome 1.djvu/189

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— Allons, nous verrons cela, mes enfants, dit le père Huguenin en se radoucissant. Vous venez à point, car l’ouvrage presse et je suis là sur mon lit, comme un vieux cheval sur la litière. Vous allez boire un verre de mon vin, et je vous conduirai au château ; car, mort ou vif, il faut que je rassure et contente la pratique.

Le brave homme, ayant appelé sa servante, essaya de se lever, tandis que ses compagnons faisaient honneur au rafraîchissement. Mais il était si souffrant qu’Amaury s’en aperçut, et le supplia, avec sa douceur accoutumée, de ne pas se déranger. Il l’assura que, grâce à Pierre, il était au courant de l’ouvrage comme s’il l’eût commencé lui-même ; et, pour le lui prouver, il lui décrivit la forme et la dimension des voussures, des panneaux, des corniches, des limons, des courbes à double courbure, des calottes d’assemblage, etc., etc., à une ligne près, avec tant de mémoire et de facilité, que le vieux menuisier le regarda encore fixement ; puis, songeant à l’avantage d’une science qui rend si claires et qui grave si bien dans l’esprit les opérations les plus compliquées, il se gratta l’oreille, remit son bonnet de coton, et remonta dans son lit en disant : À la garde de Dieu !

— Fiez-vous à nous, répondit Amaury. L’envie que nous avons de vous contenter nous tiendra lieu pour aujourd’hui de vos conseils ; et peut-être que demain vous aurez la force de venir à notre aide. En attendant, faites un bon somme, et ne vous tourmentez pas.

— Non, non, ne vous tourmentez pas, notre maître, s’écria la Clef-des-cœurs en avalant un dernier verre de vin à la hâte. Vous verrez que vous avez eu tort de faire mauvaise mine à deux jolis compagnons comme nous.

— Compagnons ! murmura le père Huguenin, dont le front se rembrunit aussitôt.

— Ah ! je dis cela pour vous faire enrager, riposta le