Page:Sand - Le compagnon du tour de France, tome 1.djvu/204

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— On dit que le peuple n’est pas beau en France, dit-il à sa petite-fille en étendant sa béquille comme s’il lui eût fait remarquer un tableau. Voilà pourtant des échantillons de belle race.

— C’est vrai, répondit Yseult en regardant le vieillard et les deux jeunes gens avec le même calme que s’ils eussent été là en peinture.

Le père Huguenin, qui ne travaillait pas, était venu au-devant des nobles avec une politesse franche. L’aspect du comte était vraiment vénérable, et quiconque le voyait était forcé d’abjurer en sa présence toute prévention démocratique. Le comte le salua en ôtant son chapeau tout à fait et le baissant très-bas, comme il eût salué un duc et pair. Il n’avait pas suivi les manières de ces roués insolents de la régence qui, en se familiarisant avec le peuple, l’avaient familiarisé avec eux ; il avait reçu et gardé les saines traditions des grands seigneurs de Louis XIV, qui, par une admirable politesse, consacraient in petto l’infériorité du peuple. Le vieux comte portait un sentiment nouveau dans cette civilité dès longtemps acquise ; il avait des souvenirs de la révolution qui lui faisaient accepter, moitié ironiquement, moitié franchement, le principe de l’égalité ; il disait lui-même que, toutes les fois qu’il abordait un homme du peuple, il murmurait à part lui cette formule : Peuple souverain, tu veux qu’on te salue !

Il s’informa d’abord de la blessure du vieux menuisier, et lui dit obligeamment qu’il était fort peiné qu’il eût éprouvé cet accident en travaillant pour lui.

— C’est qu’en effet j’allais un peu vite, répondit le père Huguenin. On ne devrait pas être étourdi à mon âge ; mais M. Lerebours me pressait tellement, que, pour contenter monsieur le comte, je donnais de furieux coups dans le bois ; et je me suis aperçu que mon ciseau avait une bonne