Page:Sand - Le compagnon du tour de France, tome 1.djvu/21

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

diteur était pénétré d’avance de l’importance de ce nom, M. Lerebours disait en baissant les yeux : C’est moi qui fais les affaires de la famille. — Si cet auditeur était assez ennemi de lui-même pour demander ce que c’était que la famille, oh ! alors, malheur à lui ! car M. Lerebours se chargeait de lui apprendre ; et c’étaient d’interminables généalogies, des énumérations d’alliances et de mésalliances, une liste de cousins et d’arrière-cousins ; et puis la statistique des propriétés, et puis l’exposé des améliorations par lui opérées, etc., etc. Quand une diligence avait le bonheur de posséder M. Lerebours, il n’était ni cahots ni chutes qui pussent troubler le sommeil délicieux où il plongeait les voyageurs. Il les entretenait de la famille de Villepreux depuis le premier relais jusqu’au dernier. Il eût fait le tour du monde en parlant de la famille.

Quand M. Lerebours allait à Paris, il y passait son temps fort désagréablement ; car, dans cette fourmilière d’écervelés, personne ne paraissait se soucier de la famille de Villepreux. Il ne concevait pas qu’on ne le saluât point dans les rues, et qu’à la sortie des spectacles la foule risquât d’étouffer, sans plus de façon, un homme aussi nécessaire que lui à la prospérité des Villepreux.

De données morales sur la famille, de distinctions entre ses membres, d’aperçus des divers caractères, il ne fallait pas lui en demander. Soit discrétion, soit inaptitude à ce genre d’observations, il ne pouvait rien dire de ces illustres personnages, sinon que celui-ci était plus ou moins économe, ou entendu aux affaires que celui-là. Mais la qualité et l’importance de l’homme ne se mesuraient, pour lui, qu’à la somme des écus dont il devait hériter ; et quand on lui demandait si mademoiselle de Villepreux était aimable et jolie, il répondait par la supputation des valeurs qu’elle apporterait en dot. Il ne comprenait pas qu’on fût curieux d’en savoir davantage.