Page:Sand - Le compagnon du tour de France, tome 1.djvu/210

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mon maître, répondit le Corinthien. Ainsi, Berrichon, nous ne parlerons plus de cela, n’est-ce pas, ami ?

— Assez causé, dit la Clef-des-cœurs. Mon affaire, à moi, c’est de rire. Quand on ne rit plus…

— Nous savons que tu as de l’esprit, mon garçon, dit le père Huguenin. Tu nous feras rire d’autre chose.

— C’est égal, dit le Berrichon, ces gens du château me reviennent, à moi. Ça n’est pas fier, et c’est gentil comme tout, ces dames nobles !

Quand Pierre vit ouvrir devant lui la porte du cabinet de M. de Villepreux, il sentit un malaise affreux s’emparer de lui. Il n’avait jamais parlé à des gens aussi haut placés dans la vie sociale. Les bourgeois auxquels il avait en affaire ne l’avaient jamais intimidé ; il s’était toujours senti égal à eux, même dans les manières. Mais il se disait qu’il y avait sans doute dans le vieux seigneur une autre supériorité que celle du rang. Il savait que le comte serait parfaitement poli, mais selon un code d’étiquette auquel il lui faudrait se soumettre, quand même il ne le trouvait pas conforme à ses idées. Ce code est si étrange, qu’un homme du peuple qui prendrait les manières d’un homme du monde serait réputé impertinent. Il ne faut pas, par exemple, qu’un ouvrier salue trop bas ; ce serait demander un salut semblable, et il n’y a pas droit. Pierre avait lu assez de romans et de comédies pour savoir quelles étaient les formes de politesse de ce monde qu’il n’avait pas vu. Mais quelles seraient ces formes avec lui, et comment devait-il y répondre ? En égal ? c’était passer pour un sot. En inférieur ? c’était s’humilier. Ce souci un peu puéril ne lui serait peut-être pas venu, s’il n’eût distingué, à la lueur de la lampe qui éclairait faiblement le cabinet, mademoiselle de Villepreux écrivant sous la dictée de son grand-père. Et toutes ces réflexions, lui arrivant