Page:Sand - Le compagnon du tour de France, tome 1.djvu/236

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— Yseult, dit la marquise en pleurant, je ne vous croyais pas méchante.

Le ton dont ces paroles furent prononcées, et les larmes qui s’échappèrent des yeux de Joséphine, firent tressaillir Yseult de surprise. Elle laissa tomber le dessin, croyant rêver, et s’efforça de consoler sa cousine, mais sans savoir comment elle avait pu l’offenser ; car elle n’avait eu d’autre intention que celle de faire une plaisanterie très-innocente, et qui n’était pas tout à fait nouvelle entre elles deux. Elle n’osa point arrêter sa pensée sur la découverte que ces larmes lui faisaient pressentir, et en repoussa bien vite l’idée comme absurde et outrageante pour sa cousine. Celle-ci, voyant la candeur d’Yseult, essuya ses larmes ; et leur querelle finit comme toutes finissaient, par des caresses et des éclats de rire.

Eh bien ! vous l’avez deviné, ô lectrice pénétrante ? la pauvre Joséphine, ayant lu beaucoup de romans (que ceci vous soit un avertissement salutaire), éprouvait le besoin irrésistible de mettre dans sa vie un roman dont elle serait l’héroïne ; et le héros était trouvé. Il était là, jeune, beau comme un demi-dieu, intelligent et pur plus qu’aucun de ceux qui ont droit de cité dans les romans les plus convenables. Seulement il était compagnon menuisier, ce qui est contraire à tous les usages reçus, je l’avoue ; mais il était couronné, outre ses beaux cheveux, d’une auréole d’artiste. Ce génie éclos par miracle était choyé et vanté chaque soir au salon par le vieux comte, qui se faisait un amusement et une petite vanité de l’avoir découvert, et cette position intéressante le mettait fort à la mode au château. Ce serait aujourd’hui un rôle usé : on a déjà vu tant de jeunes prodiges qu’on en est las ; et puis il est bien certain qu’on en est venu à reconnaître que le peuple est le grand foyer d’intelligence et d’inspiration. Mais, à ces beaux jours de la restaura-