Page:Sand - Le compagnon du tour de France, tome 1.djvu/241

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mes enfants, que les grands seront toujours les grands, et les petits toujours les petits. On a l’air de chercher à vous le faire oublier ; mais laissez-vous-y prendre, et vous verrez comme on vous rafraîchira la mémoire ! Oh ! oh ! je n’ai pas vécu jusqu’à présent sans savoir ce que pèse un vilain dans la main de son seigneur.

Il y avait une chose qui déplaisait surtout au père Huguenin : c’était l’assiduité de la marquise à se poser sur la tribune pour dessiner pendant que les ouvriers travaillaient devant elle. Il semblait craindre que son fils n’y fît trop d’attention. Que vient faire là cette belle dame ? disait-il bien bas quand elle était partie. Est-ce la place d’une marquise de se tenir là-haut comme une poule sur un bâton, tandis que des gars comme vous lui regardent le bout du pied ? Je veux bien qu’elle ait le pied petit ; la grosse Marton l’aurait petit aussi, si, au lieu de porter des sabots, elle s’était serrée toute sa vie dans des escarpins. Et moi, je ne vois pas ce que cela a de si beau. En marche-t-on mieux, en saute-t-on plus haut ? Et d’ailleurs, à qui veut-elle plaire, qui veut-elle épouser ? N’est-elle pas mariée ? Et, ne le fût-elle pas, voudrait-elle d’un artisan ? Enfin que fait-elle là-haut sur son perchoir ? Est-ce pour nous surveiller, est-ce pour faire notre portrait ? Ne voilà-t-il pas des messieurs bien costumés, en blouse ou en manches de chemise, pour lui servir de modèles ? On dit qu’il y a à Paris des gens qu’on paye pour avoir une grande barbe et pour se faire mettre en tableau. Mais c’est un métier de fainéant, et ça n’est pas le nôtre.

— Ma foi, disait le Berrichon, je ne gagnerais pas beaucoup à ce métier-là, car je ne suis pas beau ; et, à moins qu’il n’y eût un singe à fourrer dans une peinture, je n’aurais pas beaucoup de pratiques. Mais savez-vous, notre maître, qu’elle est bien heureuse, la petite baronne, ou