Page:Sand - Le compagnon du tour de France, tome 1.djvu/244

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préoccupation qui lui semblait maladive et funeste.

En peu de temps, le comte de Villepreux se popularisa dans le village d’une manière merveilleuse. Il faisait beaucoup travailler, et payait avec une libéralité qu’on ne lui avait pas connue. Il dominait le curé, et, à force de cadeaux pour sa cave et pour son église, le forçait d’être tolérant et de laisser danser le dimanche. Il tenait tête au préfet pour la conscription, influençant les médecins préposés pour la visite au conseil de révision. Enfin il ouvrait son parc le dimanche à tous les habitants du village, et payait même le ménétrier pour les faire danser dans le rond-point de la garenne, à l’ombre d’un beau vieux chêne appelé le Rosny, comme tous les arbres séculaires honorés de cette illustre origine.

Les ouvriers du père Huguenin s’habillaient de leur mieux ce jour-là et faisaient danser, de préférence aux paysannes, les pimpantes soubrettes du château. Le Berrichon y déployait toutes ses grâces, et ses entrechats ne manquaient pas de succès. Le Corinthien se livrait aussi à cet amusement, mais sans s’occuper d’une danseuse plus que d’une autre, et seulement peut-être pour satisfaire un peu d’enfantine coquetterie ; car il était si gracieux avec sa blouse de toile grise brodée de vert, et la toque béarnaise qu’il avait rapportée de ses voyages lui allait si bien, que tous les regards s’attachaient sur lui et que les jeunes filles enviaient l’honneur de danser avec lui.

Le vieux comte venait avec sa famille, à l’heure où le soleil baisse et où l’air fraîchit, regarder ces danses villageoises, et familiariser les bonnes gens avec sa présence seigneuriale. On était flatté du plaisir qu’il y prenait et des choses agréables qu’il savait dire à chacun. Il y avait un banc de gazon sous le chêne, où personne ne se fût permis de s’asseoir à côté de lui et de sa fille, mais auprès duquel il savait attirer les anciens du pays pour causer