Page:Sand - Le compagnon du tour de France, tome 1.djvu/249

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C’était un roman de Walter Scott, je ne sais plus lequel ; mais un de ceux où le héros, simple montagnard ou pauvre aventurier, s’enamoure de quelque dame, reine ou princesse, est aimé d’elle à la dérobée, et, après une suite d’aventures charmantes ou terribles, finit par devenir son amant et son époux. Cette intrigue à la fois simple et piquante est, comme on sait, le thème favori du roi des romanciers. S’il est le poëte des lords et des monarques, il est aussi le poëte du paysan, du soldat, du proscrit et de l’artisan. Il est vrai que, fidèle à ses prédilections aristocratiques, et trop Anglais pour être hardi jusqu’au dénouement, il ne manque jamais de découvrir à ses nobles vagabonds une illustre famille, un riche héritage, ou de leur faire monter de grade en grade l’échelle des honneurs et de la fortune, pour les mettre aux pieds de leurs belles, sans exposer celles-ci à se mésallier par un pur mariage d’amour. Mais il est certain aussi qu’il faut lui savoir gré de nous avoir peint le peuple sous des couleurs poétiques, et d’en avoir tiré de grandes et sévères figures dont le dévouement, la bravoure, l’intelligence et la beauté rivalisent avec l’éclat du héros principal, souvent jusqu’à le surpasser et à l’effacer. Sans nul doute, il a compris et aimé le peuple, non par principes, mais par instinct, et l’artiste n’a pas été aveuglé par les préjugés du gentleman.

Ces romans-là, malgré leur exquise et adorable chasteté, sont tout aussi dangereux pour les jeunes têtes, tout aussi subversifs du vieux ordre social, que romans le doivent être pour être romanesques et pour être lus avidement par toutes les classes de la société. C’est donc à sir Walter Scott qu’il faut attribuer le désordre qui s’était organisé si l’on peut parler ainsi, dans la cervelle de Joséphine. Elle se rêvait la dame du quinzième ou du seizième siècle que devait poursuivre un jeune artisan,