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rière des tas de planches et de soliveaux qu’il était impossible de la retrouver. Toutes choses allaient si vite et si bien d’ailleurs, que M. Lerebours n’osait pas se fâcher trop fort.

Le fait est que Pierre passa plus d’une fois les premières heures de la nuit dans la tourelle, debout en extase devant les meubles, les gravures et les modèles. Ce qui le tentait plus que tout le reste, c’étaient les beaux livres reliés et dorés qui brillaient sur les rayons d’une petite bibliothèque d’ébène attachée à la muraille. Pierre n’avait qu’à étendre la main pour satisfaire sa curiosité, mais il craignait de commettre quelque chose comme un abus de confiance en portant sur ces riches reliures une main durcie et noircie par le travail. Un dimanche que tout le monde était sorti du château, même M. Lerebours, Pierre succomba à la tentation. Il était d’une propreté recherchée le dimanche ; car il avait le goût inné de l’élégance, et la moindre tache sur ses habits, la moindre poussière à ses mains ou à ses cheveux le tourmentait plus qu’il n’appartient peut-être à un ouvrier parfaitement sage. Quand il se fut assuré, en se regardant à la psyché du cabinet, que sa toilette, pour être moins riche que celle d’un bourgeois, n’était pas moins irréprochable, il se décida à ouvrir un livre… Ce livre fut l’Émile de Jean-Jacques Rousseau. Pierre le savait par cœur ; il se l’était procuré à Lyon, et il l’avait lu à la veillée avec plusieurs compagnons de ses amis durant son tour de France. Sur le même rayon, Pierre trouva les Martyrs de Châteaubriand, les tragédies de Racine, la Vie des Saints, les Lettres de Sévigné, le Contrat social, la République de Platon, l’Encyclopédie, divers ouvrages historiques, et beaucoup d’autres assez étonnés de se trouver ensemble. Il dévora dans l’espace de trois mois, c’est-à-dire durant la somme d’environ soixante heures, réparties entre une