Page:Sand - Le compagnon du tour de France, tome 1.djvu/77

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— Je vous avoue que si cela dépendait de moi, répondit Pierre, on ne se disputerait pas pour si peu de chose. Le mot de liberté est si beau qu’il me paraîtrait bien suffisant pour illustrer ceux qui le portent sur leur bannière. Mais je ne crois pas que les choses s’arrangent ainsi, tant que votre parti le réclamera avec des injures et des menaces. Ainsi, quant à ce qui me concerne, soyez sûr qu’aucun compagnon d’aucun Devoir que ce soit ne me contraindra jamais, par de tels moyens, à proclamer l’ancienneté et la supériorité de son parti sur un parti quelconque.

— Ah çà, vous n’êtes donc pas compagnon ? Je vois que, depuis une heure, vous me raillez, et que vous n’avez de préférence pour aucune couleur. Cela me prouve que vous êtes un Indépendant ou un Révolté ; peut-être même avez-vous été chassé de quelque société pour votre mauvaise conduite. Je saurai vous reconnaître, et s’il en est ainsi, vous démasquer en quelque lieu que je vous trouve.

— Toutes vos paroles sont hostiles, et pourtant je reste calme ; vos discours respirent la haine et ne provoquent pas la mienne ; vous me menacez et n’obtenez de moi qu’un sourire : quiconque, sans nous connaître, nous verrait ainsi, en présence l’un de l’autre, ne serait pas porté à vous considérer comme le plus noble et le plus sage des deux. Je ne comprends pas qu’au lieu de chercher votre gloire dans des paroles de malédiction et des actes de violence, vous ne la cherchiez pas dans des pratiques sages et des sentiments d’humanité.

— Vous êtes un beau parleur, à ce que je vois. Eh bien, soit ; je ne hais pas les gens instruits, et j’ai cherché moi-même à secouer le poids de mon ignorance ; j’ai orné ma mémoire des meilleures chansons de nos poëtes, et, quoique je n’accepte pas l’esprit des vôtres, je rends justice