Page:Sand - Le compagnon du tour de France, tome 1.djvu/78

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aux talents de quelques-uns de vos chansonniers. Je sais que si nous avons Va-sans-Crainte de Bordeaux, Vendôme-La Clef des cœurs, et tant d’autres, vous avez Marseillais-Bon accord, Bordelais-La Prudence, Bourguignon-La Fidélité, Nantais-Prêt à bien faire, etc., qui ne sont pas sans talent. Mais j’ai reconnu avec chagrin, je l’avoue, qu’il était impossible d’être à la fois auteur et bon ouvrier. Il faut apprendre, pour rimer, bien des choses qui demandent du temps et qui en font perdre par conséquent. C’est à cause de vos belles paroles que je crains que vous ne soyez un homme perdu de dettes, ayant rompu son ban ou trahi son Devoir, un brûleur, en un mot.

— Cette crainte ne m’inquiète pas, répondit Pierre ; nous nous rencontrerons peut-être ailleurs et dans des relations plus cordiales que vos manières actuelles n’en marquent le désir. Vous plaît-il maintenant de me laisser partir ? je ne puis m’arrêter plus longtemps.

— Vous êtes un homme fort prudent, repartit l’obstiné tailleur de pierres ; mais je le suis aussi, et ne me soucie pas de compromettre ma réputation en vous laissant continuer votre chemin de la sorte.

— Voulez-vous me dire en quoi une rencontre paisible avec un compagnon qui voyage pourrait nuire à votre honneur ?

— Les Gavots sont si arrogants envers nous (surtout hors de notre présence) qu’ils ne manquent jamais de dire qu’ils ont fait baisser le ton à quelqu’un des nôtres en les rencontrant sur le tour de France. Quand ils n’ont pu faire preuve de courage en public, ils se vantent de prouesses qui n’ont pas eu de témoins.

— Les Dévorants ne se vantent-ils pas aussi quelquefois ? N’avez-vous dans votre société ni imposteurs, ni faux braves ? Vous êtes bien heureux, en ce cas.