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LE COMPAGNON

énigmes. Je n’aurais pas le temps d’en chercher le mot.

— Soit, mon brave ! je parlerai aussi clairement que vous voudrez. Je ne vous demande pas si vous êtes à l’abri d’un moment d’oubli et de légèreté qui pourrait compromettre ma liberté et ma vie ; j’en suis persuadé d’avance, vous sachant l’homme le plus sérieux et le plus délicat peut-être qui existe. D’ailleurs, là où je ne risque que ma tête, je ne suis pas habitué à négliger mon devoir par prudence. Que voulez-vous savoir ?

— Votre opinion véritable, monsieur, vos principes, votre foi politique. Je ne vous demande pas compte des actes par lesquels vous servez votre cause, je sais que vous ne pouvez pas les révéler ; mais je veux savoir votre but : sans cela, vous ne me remuerez pas plus qu’une montagne.

— La foi transporte les montagnes, mon digne camarade. Je suis donc sûr de vous remuer, car ma foi est la vôtre : je suis républicain.

— Qu’entendez-vous par là ?

— Étrange question ! ce que vous entendez vous-même.

— Mais qu’est-ce que j’entends, moi ? le savez-vous ?

— Je le présume, et d’ailleurs vous allez me le dire.

— Non pas ; j’attendrai que vous me disiez votre plan de république, car il est certain pour moi que vous en avez un. Sans cela vous ne vous seriez pas mis à l’œuvre ; tandis que moi, qui ne suis occupé du matin au soir qu’à scier des planches et à les raboter, il est possible que je n’aie jamais songé à refaire la société.

— Vous m’interrogez d’une manière un peu insidieuse, mon bon ami, faites-y attention. Si nous sommes d’accord au fond, nous pouvons nous entendre en nous révélant l’un à l’autre. Si nous ne le sommes pas, vous conservez le droit de me contrecarrer dans mes projets, tandis que je n’ai aucune prise sur les vôtres.