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DU TOUR DE FRANCE.

lui faisait expier son triomphe. C’est alors qu’un cri de détresse s’éleva du fond de son âme vers le Corinthien. Mais il n’était pas là, il pleurait au fond du parc de Villepreux.

Enfin Joséphine fit un effort, sentant bien qu’elle n’avait pas le droit de se courroucer, après avoir en quelque sorte provoqué tous ces hommes, mais résolue à leur sembler sotte et ridicule pour se soustraire à leur convoitise. Elle se leva, et déclara qu’elle partirait à pied si on ne lui amenait pas une voiture. Elle parla si sèchement et repoussa si bien les prières impertinentes qu’elle réussit à se mettre en route, dans une calèche, avec Raoul, qui s’y traîna avec peine, et le vicomte Amédée, qu’il fallut bien accepter pour cavalier, afin de se débarrasser des autres. À peine le roulement de la voiture se fut-il fait sentir que Raoul, réveillé un instant, retomba dans un sommeil léthargique. Il fallut que, pendant deux mortelles heures, Joséphine se défendît, en paroles et en actions, contre le plus impertinent de tous les vicomtes. Ce voyage, qui lui rappelait une autre course en voiture, une aurore poétique, un ardent amour et des délires partagés, lui fit tant de mal que, cachant, de confusion, sa figure dans son voile, elle fondit en larmes. Le vicomte n’en devint que plus entreprenant. Joséphine était faible et inconséquente. Malgré elle, une sorte de respect instinctif pour les gens titrés l’empêchait de se prononcer comme elle eût osé le faire à l’égard d’un bourgeois qui lui aurait déplu. Elle voulait se défendre, et s’y prenait si gauchement que chacune de ses naïves réponses était interprétée par le vicomte comme une agacerie. Heureusement le froid prit Raoul, qui se réveilla d’assez mauvaise humeur, et, ne pouvant se rendormir, trouva le vicomte insipide et ne se gêna pas pour le lui dire. Peu à peu le sentiment de la protection qu’il devait à sa cousine, et qu’il avait si lâche-