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LE COMPAGNON

— Mais, mon enfant, vous n’y songez pas ; on me prendra pour une mendiante.

— Non, et vous verrez que les gens de la maison sont fort honnêtes.

— S’ils sont tous comme vous, je le crois bien. Sainte Vierge Marie ! c’est ici comme dans le paradis !

Yseult conduisit la Savinienne et sa famille à un antique pavillon qu’on appelait la Tour carrée, où un logement fort propre était destiné à l’hospitalité. Elle appela un petit garçon de ferme qui vint prendre l’âne, et une servante qui alla chercher aux enfants et à leur mère de quoi souper. Yseult avait dressé tout son monde à cette sorte de charité qu’elle pratiquait, et qui se dissimulait sous l’aspect de l’obligeance.

La voyageuse était fort surprise de cette façon d’agir, qui lui ôtait tout souci et semblait vouloir la dispenser de toute reconnaissance. Le langage concis et les allures droites et franches d’Yseult repoussaient toute phrase louangeuse et toute reconnaissance emphatique. La femme du peuple le sentit, et n’en fut que plus touchée. — Allons, allons, dit-elle en embrassant mademoiselle de Villepreux un peu fort, mais avec une expansion dont Yseult se sentit tout attendrie, malgré la résolution qu’elle avait prise de ne jamais faire à la misère l’outrage de la pitié, je vois bien que le bon Dieu ne m’a pas encore abandonnée.

— Maintenant, dit Yseult en surmontant son émotion, dites-moi les noms des amis que vous avez dans notre village ; je vais leur faire annoncer votre arrivée, et ils viendront vous voir ici.

La voyageuse hésita un instant, puis elle répondit : — Il faudrait faire dire à mon fils Villepreux, l’Ami-du-trait, autrement dit Pierre Huguenin, que la Savinienne vient d’arriver.

Yseult tressaillit, regarda cette femme encore jeune,