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DU TOUR DE FRANCE.

cevoir et désirer le bien et le beau. Je vous assure, ami lecteur, que ces deux amants platoniques échangèrent de bien grandes paroles dans la Tour carrée, tout en croyant se dire les choses les plus simples du monde, et que cette belle société, que vous croyez si bien charpentée, fléchira comme un ouvrage de paille le jour où la logique des grands cœurs viendra l’écraser de ces vérités éternelles que vous appelez des lieux communs, et qui se remuent chaque jour autour de certains foyers où vous ne daigneriez pas vous asseoir avec un habit neuf. Il y avait devant la fenêtre gothique de cette tour une grande vigne, où les pigeons venaient se jouer au bord du toit. Yseult les avait apprivoisés à force de se tenir accoudée sur la fenêtre ; et tandis que le capucin, le bizet ou le bouvreuil[1] venaient becqueter sa main, elle eut souvent de grandes révélations sur la perfectibilité, et monta avec Pierre, qui pendant ce temps façonnait un ornement de boiserie, jusqu’aux plus hautes régions de l’idéal.

Pendant que la Savinienne résignée travaillait pour ses enfants, et retrempait dans l’amitié et le sentiment religieux son cœur vide et désolé, le Corinthien souffrait de bien grandes tortures. Toujours contraint et humilié de lui-même en présence de cette noble femme, il allait s’étourdir sur ses remords auprès de la marquise ; mais il n’y trouvait plus le même bonheur. Une tristesse profonde, une inquiétude incessante s’étaient emparées de Joséphine. Il semblait au Corinthien qu’elle lui cachât quelque secret. La crainte du monde régnait sur elle, malgré toutes les malédictions qu’elle lui adressait tout bas, et toutes les vengeances qu’elle croyait tirer de lui dans ses plaisirs cachés avec l’homme du peuple. Mais, au moindre bruit qui se faisait entendre, elle avait dans les

  1. Espèces diverses de pigeons.