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DU TOUR DE FRANCE.

voyait de sa fenêtre tout ce qui se passait la nuit à la Tour carrée.

Quelques personnes se refusèrent à le croire ; un plus grand nombre le crurent sans examen, et le répétèrent sans scrupule. Les domestiques du château, observant de près la conduite de la Savinienne, repoussaient à bon escient les calomnies d’Isidore, que, du reste, ils détestaient cordialement ; et, comme ils avaient beaucoup d’estime et d’affection pour Pierre, ils se gardèrent de les lui répéter. Mais ils les donnèrent à entendre au Corinthien, qu’ils aimaient beaucoup moins, parce qu’ils le trouvaient fier, et quelque peu méprisant à leur endroit.

Ce fut un grand châtiment pour Amaury, et un nouveau remords, que de voir celle qu’il avait aimée et appelée auprès de lui, diffamée à cause de lui et défendue par un autre que lui. Il jura que le fils Lerebours s’en repentirait cruellement ; mais il fut empêché de prendre aucun parti par la jalousie de la marquise.

Joséphine avait l’habitude de causer le matin avec sa soubrette, pendant qu’elle se faisait coiffer, et Julie la tenait au courant de tous les cancans de l’office et du village. Lorsqu’elle apprit les soupçons dont la Savinienne était l’objet, avant d’examiner s’ils étaient fondés, elle conçut une aversion étrange pour cette victime de ses amours avec le Corinthien. Elle commença par interroger ce dernier, et le fit avec tant d’aigreur et d’emportement que le Corinthien, dont l’humeur était déjà assez sombre, lui répondit avec un peu de hauteur qu’il ne lui devait pas compte de son passé.

— Pourtant, ajouta-t-il, je veux bien vous le dire, pour vous faire voir à quel point vos outrages sont mal fondés et votre jalousie injuste. Il est bien vrai que j’ai aimé la Savinienne et que j’ai été aimé d’elle ; il est bien vrai que je devais l’épouser à la fin de son deuil, et que je