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LE COMPAGNON

amena insensiblement Pierre à lui dire ses répugnances, ses sympathies, ses vœux, et à mettre au jour tout un monde de questions que l’ouvrier s’était faites à lui-même, et qui étaient restées sans réponses, mais qui n’en étaient pas moins de grandes questions, seules dignes d’un grand cœur qui désire et d’un grand esprit qui cherche. Ces éclairs qui jaillissaient de son âme jetèrent leur lumière sur celle du jeune Carbonaro. Ce brave enfant, plein de défauts, de suffisance, de mauvais goût et de présomption, n’en était pas moins une des consciences les plus pures qu’il fût possible de rencontrer. Son cerveau, plein d’enthousiasme et avide d’émotions, s’embrasa au contact de cet homme obscur qui lui soulevait plus de problèmes fondamentaux en une heure qu’il n’en avait rencontré sur son chemin depuis qu’il était au monde. Il comprit qu’il y avait là quelque chose de grand ; et son charlatanisme d’amitié pour l’adepte qu’il voulait conquérir se changea en une affection véritable, en une confiance sans bornes.

De son côté, Pierre vit bien que, si ce n’était pas là le philosophe qui pouvait résoudre ses questions, c’était du moins une bonne et généreuse nature. Il vit aussi ses travers, et osa les lui dire. Achille n’osa s’en fâcher. Il

    n’a point été versé en vain ; car il a inspiré à tous les amis des hommes le désir de mourir avec la même grandeur et pour la même cause que vous ; il a élevé témoignage contre les monarchies, au jour où les monarchies étaient puissantes, et où ceux qui étaient censés représenter la France s’inclinaient devant elles ; il a marqué dans nos annales d’un signe ineffaçable la révolution reparaissant au sein du peuple au même instant que le sceptre aux mains des monarques ; il est allé, comme un tribut de notre âge, se mêler à ces rivières sacrées faites du sang de nos pères, et qui, sous la première république, ont mouillé notre frontière nationale d’une ceinture infranchissable ; et s’il y a eu dans le Carbonarisme quelque gloire, ô Borie, Raoulx, Goubin, Pommier, Vallée, Caron, Berton, Caffé, Saugé, Jaglin, cette gloire se concentre tout entière sur vous, qui seuls avez parut à la lumière du ciel, et pour tomber sous le couperet des rois. »