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LE COMPAGNON

entre Yseult et la marquise. Yseult était entrée le matin chez sa cousine, et s’était inquiétée de l’altération de ses traits. La marquise avait répondu qu’elle souffrait beaucoup des nerfs. Elle avait grondé sa suivante à tout propos ; elle avait essayé dix collerettes sans en trouver une qui fût blanchie et repassée à son gré, et elle avait fini par défendre à Julie de confier davantage ses dentelles à cette stupide Savinienne, qui ne savait rien faire que du scandale et des enfants.

Lorsque Julie fut sortie, Yseult reprocha sévèrement à Joséphine la manière dont elle s’était exprimée sur le compte d’une femme respectable.

Faire l’éloge de la Savinienne devant la marquise, c’était verser de l’huile bouillante sur le feu. Elle continua de l’accuser avec une étrange aigreur d’être la maîtresse de Pierre Huguenin et d’Amaury. — Je ne comprends pas, ma chère enfant, lui répondit Yseult avec un sourire de pitié, que tu ajoutes foi à des propos ignobles, et que tu leur donnes accès sur ta jolie bouche. Si j’avais l’esprit aussi mal disposé que tu l’as ce matin, je te dirais que je suis presque tentée de prendre au sérieux les plaisanteries que nous te faisions il y a quelque temps sur le Corinthien.

— Ce serait de ta part, à coup sûr, une mortelle insulte, répondit la marquise ; car tu poses en principe qu’un artisan n’est pas un homme : ce qui fait que tu passes ta vie avec eux comme si c’étaient des oiseaux, des chiens ou des plantes.

— Joséphine ! Joséphine ! s’écria Yseult en joignant les mains avec une surprise douloureuse, que se passe-t-il donc en toi, que tu sois aujourd’hui si différente de toi-même ?

— Il se passe en moi quelque chose d’affreux ! répondit la marquise en se jetant tout échevelée le visage con-