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LE COMPAGNON

jamais cherché dans vos yeux que votre âme, et la beauté morale est la seule qui puisse me fasciner. Mais je viens vous demander, devant Dieu qui nous voit et nous entend, si vous m’aimez comme je vous aime.

Pierre devint pâle, ses dents se serrèrent ; il ne put répondre.

— Ne me laissez pas dans l’incertitude, reprit Yseult. Il est bien important pour moi de ne pas me tromper sur le sentiment que je vous inspire ; car je touche à cette crise décisive de ma vie que je vous avais fait pressentir ici, un soir que je jouais au Carbonarisme avec vous, croyant avoir quelque chose à vous apprendre, et n’ayant pas encore reçu de vous l’initiation à la véritable égalité, que vous m’avez donnée depuis. Écoutez, Pierre, il s’est passé aujourd’hui, dans ma famille, bien des choses que vous ignorez. Ma cousine m’a confié un secret que vous possédiez depuis longtemps. Mon père, par je ne sais quelle aventure, a découvert ce secret, et a prononcé un jugement que je vous laisse à deviner.

Pierre ne pouvait parler. Yseult vit son angoisse, et continua :

— Le jugement de mon père a été conforme aux admirables principes dans lesquels il m’a élevée, et que je lui ai toujours vu professer. Il a conseillé à madame des Frenays, dont le mari est mourant, de se remarier avec le Corinthien aussitôt qu’elle serait libre, et, à l’heure qu’il est, il engage le Corinthien à s’éloigner pour revenir ici dans deux ans. Dans deux ans, Pierre, votre ami sera mon cousin et le neveu de mon père. Vous voyez que, si vous m’aimez, si vous m’estimez, si vous me jugez digne d’être votre femme, comme moi je vous aime, vous respecte et vous vénère, je vais trouver mon aïeul et lui demander de consentir à notre mariage. Si je n’avais pas la certitude de réussir, jamais je ne vous aurais dit ce