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LE COMPAGNON

changera d’idée ; car si elle est opiniâtre dans les petites choses, elle est, je crois, raisonnable dans les grandes. D’ailleurs elle vous aime, et le désir de vous plaire…

— Nous reparlerons de cela, dit le comte. Laisse-moi ; je veux d’abord lui parler de cette Savinienne.

Raoul se retira, et le comte descendit au cabinet de la tourelle. Il était une heure du matin. Il y surprit sa fille tête à tête avec Huguenin. Là toute sa prudence l’abandonna ; et la colère à laquelle il était fort sujet lui montant au cerveau, il s’exprima en termes fort peu mesurés sur l’inconvenance de cette intimité. Pierre était si ému qu’il ne songeait point à obéir aux ordres violents que lui donnait le vieillard de se retirer ; il craignait pour Yseult l’effet de la colère paternelle, mais il n’avait rien à dire pour se disculper. Yseult, effrayée un instant, domina bientôt le malaise affreux de cette situation par la force de son caractère. Au lieu de s’irriter secrètement des dures paroles de son grand-père, elle lui jeta les bras autour du cou, et lui dit, en caressant ses cheveux blancs, qu’elle était heureuse d’être surprise dans ce tête-à-tête, et que cela lui abrégeait de longs préambules. Puis, prenant Pierre par la main, elle l’amena auprès de son aïeul, et, se mettant à genoux : — Mon père, dit-elle d’une voix pénétrée mais ferme, vous m’avez dit mille fois que vous aviez assez de confiance en ma raison et en ma dignité pour me permettre de faire moi-même le choix d’un époux, Lorsqu’on m’a proposé divers mariages d’intérêt et d’ambition, vous avez approuvé mes refus, et vous m’avez dit que vous préféreriez me voir unie à un honnête ouvrier qu’à un de ces nobles insolents et bas qui calomniaient votre caractère politique et qui s’humiliaient devant votre argent. Enfin, vous avez dit aujourd’hui à ma cousine des choses que je me suis fait répéter plusieurs fois, afin d’être bien sûre que je ne vous déplairais pas en vous