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LE COMPAGNON

de Villepreux et son frère ; quand il lui fallut quitter l’intérieur du château, où sa présence à cette heure avancée n’était plus explicable ni possible, il fut en proie à toutes les angoisses de l’inquiétude et de l’épouvante. Il songeait à ce que devait souffrir Yseult ; il croyait que le comte allait mourir ; et il était livré à des remords affreux, comme s’il eût été coupable de quelque crime. Il erra jusqu’au jour dans le parc, revenant d’heure en heure interroger la Savinienne, qui était accourue auprès d’Yseult, et qui veillait dans la chambre voisine. De temps en temps elle descendait furtivement au jardin pour tranquilliser son ami. Lorsqu’il sut que le comte était tout à fait hors de danger, et que l’accident n’aurait pas de suites sérieuses, il s’enfonça de nouveau dans le parc, et alla rêver aux mêmes lieux où il avait tant rêvé déjà, et qui avaient été témoins des joies chastes de son amour. D’abord, tout entier à sa position, il ne songea qu’aux chances d’éternelle union ou de séparation absolue que lui faisaient pressentir, d’une part, la ferme volonté de la jeune fille, de l’autre la colère et le désespoir du vieux comte. Tout souvenir des obstacles qu’il devait rencontrer dans sa propre conscience s’était effacé dans la joie soudaine et ineffable de cet amour partagé. Il se disait qu’Yseult vaincrait tous ceux que sa famille pourrait lui susciter, et il s’abandonnait à elle avec une confiance religieuse. D’ailleurs son sang bouillonnait dans ses veines et obscurcissait toutes ses idées ; son cœur battait si violemment au souvenir des paroles célestes qui vibraient encore dans ses oreilles, qu’il était forcé à chaque pas de s’arrêter et de s’asseoir pour ne pas étouffer. La nuit était sombre et pluvieuse. Il marchait dans le sable délayé et dans les froides herbes sans s’apercevoir de rien. Les grandes rafales de l’automne soulevaient autour de lui des tourbillons de feuilles sèches. Ce vent furieux et cette nature