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LE COMPAGNON

On en trouverait dans toutes les belles actions, si on les analysait ainsi.

Il attendit que le comte de Villepreux fût bien reposé, et se risqua a lui demander une entrevue. Elle lui fut d’abord refusée. Il insista, et l’obtint.

Le vieillard était pâle et sévère. — Pierre, dit-il d’une voix affaiblie, venez-vous insulter à la douleur et à la maladie ? Vous que j’aimais comme mon fils, vous à qui j’ai ouvert mes bras, et pour qui j’aurais donné la moitié de mes biens comme à l’homme le plus digne et le plus utile, vous m’avez trompé, vous m’avez déchiré le cœur ; vous avez séduit ma fille !

Pierre ne fut pas dupe de cette déclamation préparée d’avance, et sourit intérieurement de la peine qu’on voulait se donner pour enchaîner un homme qui venait se livrer de lui-même.

— Non, monsieur le comte, répondit-il d’un ton ferme, je n’ai pas un pareil crime à me reprocher ; et si j’avais été assez lâche pour y songer, votre noble fille eût su s’en garantir. Je puis vous jurer par tout ce qu’il y a de plus sacré pour vous et pour moi sur la terre, par elle, que ma main a touché la sienne hier pour la première fois, et que jamais, avant cet instant, je n’avais eu la pensée qu’elle pût m’aimer.

Cette déclaration, qu’il était impossible de révoquer en doute quand on connaissait tant soit peu la sincérité et la moralité de Pierre Huguenin, ôta un poids affreux au vieux comte. Il connaissait trop sa petite-fille pour craindre que son roman ne ressemblât à celui de la marquise. Mais en apprenant que l’éclosion du projet d’Yseult était si récente, il eut l’espoir de l’y faire renoncer plus aisément.

— Pierre, dit-il, je vous crois ; je douterais de moi-même plutôt que de vous. Mais aurez-vous autant de cou-