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LE COMPAGNON

la sagesse et de la fermeté de votre fille. Mais je venais ici pour vous dire ce à quoi vous ne vous attendez peut-être pas : c’est que je refuserais de devenir votre gendre lors même que vous y consentiriez. Rappelez-vous un assez long entretien que vous avec daigné avoir avec moi sur la propriété, monsieur le comte, et rappelez-vous que je n’ai pas reçu de vous la solution que j’en attendais. Comme je suis un homme simple et ignorant, et cependant un honnête homme, et comme vous n’avez pas voulu me dire si la richesse était un droit et la pauvreté un devoir, dans le doute je m’abstiens et reste pauvre. Voilà toute ma réponse.

Le comte ouvrit ses bras à l’artisan, et, affaibli par la peur, la maladie et la reconnaissance, le remercia en pleurant de ce qu’il voulait bien ne pas toucher à sa richesse et à sa vanité.

— Maintenant, lui dit Pierre froidement après avoir subi un torrent d’éloges qui n’enfla pas beaucoup son orgueil, je vous demande la permission de voir mademoiselle de Villepreux et de lui parler sans témoins.

— Allez, Pierre ! répondit le comte après un moment d’hésitation et de trouble. Vous ne pouvez pas mentir, c’est impossible. Ce que vous avez promis, vous le tiendrez. Ce que vous avez conçu, vous l’exécuterez.

Pierre resta enfermé deux heures avec Yseult. Ils débattirent pied à pied leur différente manière de comprendre et de pratiquer le beau idéal. Yseult était inébranlable dans son dessein de s’unir à celui qu’elle avait élu ; et Pierre, accablé de cette lutte contre lui-même, ne sut que lui répondre lorsqu’elle finit en lui disant :

— Pierre, je reconnais qu’il faut que nous nous quittions pour quelques mois, pour quelques années peut-être. La douleur et l’effroi que j’ai éprouvés hier en voyant mon père désavouer le choix immuable que j’ai