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PROCOPE LE GRAND.

et moins patriotes s’il se fût agi, comme du temps de Ziska, d’aller à la rencontre de Sigismond. Mais cette armée de mercenaires, commandée par un légat, représentait à leurs yeux un ennemi moins redoutable, un maître moins légitime, le pape. L’Europe, la Germanie surtout, tendait à se séculariser, à s’affranchir du joug de Rome, ouvertement ou indirectement.

Ce récit est monotone à force de présenter durant quatorze ans les mêmes circonstances merveilleuses. C’est la sixième fois, et non la dernière, que la vieille société germanique vient battre de toutes ses forces ces murailles vivantes qui défendent la coupe, le mystérieux symbole des libertés de la Bohême ; et cette fois encore ce petit coin du monde, si méprisé par le pape, sera la grande nation qui repoussera toutes les nations étrangères. Bien des siècles auparavant, les moines poëtes de l’ancienne chevalerie avaient rêvé les légendes du saint Graal, la coupe eucharistique que les preux devaient chercher au fond des déserts, à travers tous les dangers, et voir une fois dans leur vie pour conquérir la gloire dans l’éternité. Mais au temps de la guerre des Hussites, l’esprit chevaleresque n’était plus dans les castes féodales. Le saint Graal était bien en Bohême, les Taborites en étaient bien les Templistes jaloux, les austères défenseurs ; mais les chevaliers de d’ancien monde ne savaient même plus vaincre les mécréants. Les Turcs menaçaient la Chrétienté, et la Chrétienté ne songeait qu’à lutter mollement contre une hérésie sortie de son sein. Il est vrai que la Chrétienté officielle, c’était la vieille société des castes, prête à se dissoudre, et que l’hérésie, la nouvelle Jérusalem, le nouveau saint Graal, c’était le Peuple, son esprit, son symbole, son avenir et ses destinées.

Cette sixième déroute des Allemands est plus fabu-