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DU TOUR DE FRANCE.

philosophes qui ont pris pour drapeau ce mot de Nature, qu’un jardin entendu de cette manière ; tandis que rien ne s’en éloigne autant que la culture nécessitée par la division territoriale et le morcellement de la petite propriété. Dans des clairières assez vastes et sans cesse remuées, on avait semé des grains dont la vigueur et l’abondance étaient décuplées par la richesse de la culture. Le gibier, protégé par la sage prévoyance du maître, était assez abondant pour alimenter sa table sans compromettre les produits du sol. C’était donc bien là l’idéalisation et non pas la mutilation de la nature. C’était la production bien comprise, bien répartie et suffisamment aidée. C’était l’utile dulci de la vie patricienne, qui devrait être la vie normale de tous les hommes policés.

Il fallait donc bien le reconnaître, c’était là la demeure et la propriété d’une famille qui y vivait simplement, noblement et d’une manière tout à fait conforme aux lois providentielles. Et cependant aucun pauvre ne pouvait, ne devait voir cela sans haine et sans envie ; et si la loi de la force n’eût protégé le riche, il n’est aucun pauvre qui n’eût trouvé et qui n’eût senti que la violation de cet asile et le pillage de cette propriété étaient des actes légitimes. Comment donc accorder ces deux principes : le droit de l’homme heureux à la conservation de son bonheur, le droit de l’homme misérable à la fin de sa misère ?

Tous deux semblent également les enfants de Dieu, ses représentants sur la terre, les mandataires qu’il a investis de la propriété et de la culture universelles. Ce riche vieillard qui repose sa tête blanche et qui élève ses enfants à l’ombre des arbres qu’il a plantés, ne sera-ce point un crime que de l’arracher de son domaine pour le jeter nu et mendiant sur la voie publique ? Et pourtant, ce mendiant, vieux aussi, père de famille aussi, qui tend la main à la porte du seigneur, n’est-ce pas un crime aussi de le