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DU TOUR DE FRANCE.

très-ordinaire autour de lui. Le rabot et les ciseaux se promenèrent victorieusement comme de coutume sur le bois rebelle et plaintif. Les ouvriers mirent en sueur leurs bras nerveux, et la consolante chanson circula, réglant par le rhythme l’action du travail, évoquant la poésie au milieu de la fatigue et de la contention d’esprit. Mais, pendant que ces choses suivaient leur cours naturel, les cieux s’entr’ouvraient sur la tête de l’apôtre prolétaire, et son âme prenait son vol à travers les régions du monde idéal. Il fit un rêve étrange. Il lui sembla qu’il était couché, non sur des copeaux, mais sur des fleurs. Et ces fleurs croissaient, s’entrouvraient, devenaient de plus en plus suaves et magnifiques, et montaient en s’épanouissant vers le ciel. Bientôt ce furent des arbres gigantesques qui embaumaient les airs et, s’échelonnant en abîme de verdure, atteignaient les splendeurs de l’empyrée. L’esprit du dormeur, porté par les fleurs, montait comme elles vers le ciel, et s’élevait, heureux et puissant, avec cette végétation sans repos et sans limite. Enfin il parvint à une hauteur d’où il découvrit toute la face d’une terre nouvelle ; et cette terre était, comme le chemin qui l’y avait conduit, un océan de verdure, de fruits et de fleurs. Tout ce que Pierre, voyageur sur la terre des hommes, avait rencontré de plus poétique dans les montagnes sublimes et dans les riantes vallées, était rassemblé là, mais avec plus de variété, de richesse et de grandeur. Des eaux abondantes et pures comme le cristal s’épanchaient de toutes les cimes, couraient et s’entrecroisaient en riant sur toutes les pentes et dans toutes les profondeurs. Des constructions d’une architecture élégante, des monuments admirables, décorés des chefs-d’œuvre de tous les arts, s’élevaient de tous les points de ce jardin universel, et des êtres qui semblaient plus beaux et plus purs que la race humaine, tous occupés et tous