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LE COMPAGNON

de bien d’autres déchirements[1] ! » Le lecteur découvrira peut-être plus tard si c’était à Napoléon II, au prince étranger dont parle M. Bellart, à la république, ou à certain personnage caché si singulièrement par M. Bellart sous cette périphrase de mille autres idées absurdes, que se rattachait, dans le mystère de sa pensée et dans le secret de ses actes, le comte de Villepreux ; nous ne nous occupons ici que de son caractère et de ses idées.

Homme d’esprit avant tout, plutôt fin et perspicace en matière de faits politiques que profond en fait de théorie sociale, et se piquant néanmoins de tout connaître et de tout comprendre, le comte de Villepreux était peut-être l’expression la plus avancée de la noblesse de son temps. Il aimait La Fayette ; il estimait d’Argenson ; il avait rendu en dessous main des services à plus d’un noble proscrit ; il s’était même enthousiasmé du système de Babœuf, sans lui accorder foi ni confiance. Il était en même temps grand admirateur de M. de Chateaubriand et de Béranger. Son intelligence saisissait avec ardeur tout ce qui était beau et grand, sans que son âme, frivole comme celle d’un prince, se prît sérieusement à aucune conclusion. Il croyait à tous les systèmes, se les assimilant avec une facilité merveilleuse un quart d’heure durant, et passant de l’un à l’autre sans hypocrisie et sans inconséquence ; car cette nature d’amateur était sa vraie, sa dominante nature. Il avait toutes les qualités et tous les défauts d’un artiste et d’un grand seigneur : avare et prodigue suivant la fantaisie du moment, absolu et débonnaire, enthousiaste et sceptique selon l’occurrence, il s’emportait souvent et ne tenait jamais rigueur. Personne n’entendait mieux la vie sous le rapport du bien-être, de l’indépendance, et de ce bon sans pratique qui protège l’individu sans trop blesser la

  1. Réquisitoire dans l’affaire de La Rochelle.