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LE COMPAGNON

une petite ville des environs. Elle était partie le matin dans une légère calèche découverte traînée par un seul cheval, et accompagnée d’un seul domestique qui menait la voiture. Elle avait pris, à dessein, ou plutôt d’après le conseil d’Yseult, le plus modeste équipage du château, afin de ne pas écraser l’amour-propre de sa parente qui n’était pas riche. Cette précaution n’avait pas empêché tous les petits bourgeois de la ville de se mettre aux portes et aux fenêtres pour la voir passer, tout en se disant les uns aux autres avec aigreur : Voyez donc cette marquise avec son carrosse et son cocher ! C’est pourtant la fille au père Clicot le teinturier !

Joséphine fut retenue à dîner par sa cousine, et ne put reprendre le chemin de Villepreux que vers la chute du jour. Elle remarqua avec une certaine inquiétude, en montant en voiture, que Wolf, le cocher, avait la voix haute et le teint fort animé. Cette inquiétude augmenta lorsqu’elle le vit descendre rapidement la rue mal pavée de la ville, frisant les bornes avec cette audace et ce rare bonheur qui accompagnent souvent les gens ivres. Le fait est que Wolf avait rencontré des amis : expression consacrée chez les ivrognes pour expliquer et justifier leurs fréquentes mésaventures. Ces braves gens-là ont tant d’amis qu’ils n’en savent pas le compte, et qu’on ne saurait aller nulle part avec eux qu’ils n’en rencontrent quelques-uns.

Au bout de deux cents pas, Wolf, et par suite la calèche et la marquise, avaient déjà échappé par miracle à tant de désastres, qu’il était à craindre que la Providence ne vînt à se lasser. En vain Joséphine lui commandait et le conjurait d’aller plus doucement ; il n’en tenait compte, et semblait donner des ailes au tranquille cheval qu’il conduisait. Heureusement peut-être le ciel lui inspira l’idée de remettre une mèche à son fouet, et de s’arrêter,