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DU TOUR DE FRANCE.

— Vraiment, vous me trouvez cet air-là ?

— Je vous ai toujours vu le sourire sur les lèvres, et votre teint est toujours si pur, vos manières si gracieuses… Je vous dis cela, madame la marquise, sans savoir si je m’exprime convenablement, et m’attendant toujours à vous faire rire, comme Sancho parlant à la duchesse.

— Ne me parlez pas ainsi, Amaury ; c’est vous qui avez l’air de vous moquer de moi. Vous n’êtes pas Sancho, et je ne suis ni une duchesse ni une vraie marquise ; je suis la fille d’un ouvrier, et je n’ai pas la prétention d’être autre chose.

— Et cependant…… Mais vous me défendez d’être Sancho, je ne dois pas dire tout ce qui me passe par la tête.

— Oh ! je sais bien ce que vous vouliez dire ; j’ai épousé un noble, n’est-ce pas ? On me l’a assez reproché, et dans ma classe et dans la sienne. Et je l’ai assez cruellement expié pour que Dieu me le pardonne !

Amaury, qui s’était fait violence pour causer gaiement, se sentit trop ému pour continuer sur ce ton, mais pas assez hardi pour parler sérieusement. Ils tombèrent tous deux dans un profond silence, et ils ne se comprirent que mieux. Qu’avaient-ils à s’apprendre l’un à l’autre ? Ils ne s’étaient encore rien dit, et ils savaient pourtant bien qu’ils s’aimaient. Amaury sentait qu’il n’y avait plus entre eux qu’un mot à échanger ; mais là le courage manquait de part et d’autre.

— Mon Dieu ! monsieur Amaury, dit la marquise qui s’était remise au fond de la voiture, il me semble que nous avons passé le chemin de traverse. Nous devions prendre à gauche. Connaissez-vous le chemin ? Et elle se remit sur le devant de la voiture.

— Je l’ai fait ce matin pour la première fois, répondit le Corinthien ; mais il me semble que le cheval nous con-