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DU TOUR DE FRANCE.

s’il lui serait jamais permis de la revoir. Il ne l’apercevait plus que de loin, à travers les arbres. Après le dîner, la famille prenait le café sur une terrasse couverte d’orangers qu’Amaury pouvait voir de l’atelier. À cette heure, il avait toujours quelque travail à faire aux fenêtres, et, monté sur une échelle, il plongeait sur la terrasse, suivait tous les mouvements de la languissante marquise, et remarquait fort bien les attentions empressées dont elle était l’objet de la part d’Achille Lefort. Il aurait eu bien besoin d’ouvrir son cœur à son ami Pierre, et de lui demander conseil ; d’autant plus qu’il n’avait rien à lui révéler, puisque le hasard l’avait initié au secret de son amour : mais Pierre semblait éviter ses confidences. En proie lui-même à un rêve dont il craignait d’être forcé de s’éveiller, il s’enfonçait dans la solitude aussitôt que sa journée de travail était finie. Il errait dans le parc aux mêmes endroits où il avait rencontré Yseult, n’osant espérer l’y rencontrer encore, et l’y rencontrant presque toujours, soit avec Achille Lefort, et venant à lui sans détour, soit seule, ayant l’air de ne pas le chercher, et pourtant ne l’évitant pas. Leurs conversations roulaient toujours sur les idées générales. Aucune familiarité extérieure ne s’était établie entre eux ; mais l’intimité du cœur grandissait et prenait de la force. Il y avait une estime et une admiration mutuelles qui trouvaient chaque jour de nouveaux aliments et de nouvelles causes.

Dans cet endroit du parc la végétation était fort épaisse, et il n’y avait guère de danger d’être troublé par les malignes interprétations des curieux. C’était un quartier fermé d’une petite barrière, et consacré à la culture des belles fleurs qu’Yseult chérissait. Hôtes, parents et domestiques avaient l’habitude de respecter ce parc réservé, et de n’y entrer jamais, que la barrière fût ouverte ou fermée. Il y avait une volière et un jet d’eau au milieu