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DU TOUR DE FRANCE.

bli du monde et l’essor de l’imagination. Un soir Joséphine pleurait, le coude appuyé sur le bord de sa fenêtre. Elle désirait revoir le Corinthien, mais elle ne l’osait pas ; elle n’était pas sûre que tout le monde n’eût pas deviné son secret, et se demandait lequel il fallait choisir, ou du mépris de tout le monde, ou de celui de l’homme qu’elle abandonnait après s’être abandonnée à lui. Tout à coup elle entendit un bruit sourd derrière une petite porte pratiquée dans la boiserie de son alcôve, et qui avait peut-être protégé les amours de quelque châtelaine du temps de la Ligue avec quelque heureux page en l’absence de l’époux guerroyant. Cette porte ouvrait un passage qui, dans l’épaisseur des murs, faisait plusieurs détours dans le château et finissait à une impasse. On avait muré cette issue mystérieuse, désormais regardée comme inutile. Mais une trappe située dans les boiseries de la chapelle avait conduit l’ardent Corinthien, de découverte en découverte et de décombres en décombres, jusqu’à cette impasse. À force de calculer et de s’orienter, il avait deviné qu’une certaine porte secrète, située dans l’appartement de la marquise, et dont mademoiselle Julie, sa femme de chambre, parlait quelquefois à l’office comme d’un repaire à revenants, devait aboutir précisément à l’endroit où il s’était arrêté. Il avait pris une lampe, une pince et un marteau, et s’était plongé dans le labyrinthe. Depuis trois jours il travaillait à percer le mur. Le bruit de son marteau était amorti par l’épaisseur de la maçonnerie. C’était une entreprise pénible et palpitante, comme celle d’un prisonnier qui travaille à son évasion. Quand le mur fut percé, le bruit se fit entendre, et la marquise, qui n’était guère moins superstitieuse que sa femme de chambre, fut prise d’une telle frayeur qu’elle s’enfuit jusqu’au bas de l’escalier pour appeler du secours ; mais je ne sais quel instinct de prudence l’empêcha de céder à cette peur