Page:Sand - Lelia 1867.djvu/141

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reurs tu obéis en me calomniant. Va te cacher à tous les yeux, toi qui espères gagner le ciel en commettant l’iniquité ; que Dieu t’éclaire et le pardonne comme je te pardonne moi-même !

Lélia fut accusée aussi par deux de ses religieuses qui l’avaient toujours haïe à cause de son amour pour la justice, et qui espéraient prendre sa place. Elles l’accusèrent d’avoir eu des relations avec les carbonari, et d’avoir aidé, conjointement avec le cardinal, à l’évasion du féroce et impie Valmarina. Enfin elles lui firent un crime d’avoir disposé avec une prodigalité insensée des richesses du couvent, et d’avoir, dans une année de disette, fait vendre des vases d’or et des effets précieux dépendants du trésor de leur église pour soulager la misère des habitants de la contrée. Interrogée sur ce fait, Lélia répondit en souriant qu’elle se déclarait coupable.

Elle fut condamnée à être dégradée de sa dignité en présence de toute sa communauté. On attira autant de monde qu’on put à ce spectacle ; mais peu de personnes s’y rendirent, et celles que la curiosité y poussa s’en retournèrent émues profondément de la dignité calme avec laquelle l’abbesse, soumise à ces affronts, les reçut d’un air à faire pâlir ceux qui les lui infligeaient.

Elle fut ensuite reléguée dans une chartreuse ruinée que la communauté des Camaldules possédait dans le nord des montagnes, et dont elle faisait entretenir une partie pour servir d’asile pénitentiaire à ses délinquantes. C’était un lieu froid et humide, où de grands sapins toujours baignés par les nuages bornaient l’horizon de toutes parts. C’est là que, l’année suivante, Trenmor trouva Lélia mourante, et l’engagea de tout son pouvoir à rompre son vœu et à fuir avec lui sous un autre ciel. Mais Lélia fut inébranlable dans sa résolution.

« Que m’importe, quant à moi, lui dit-elle, de mourir ici ou ailleurs, et de vivre quelques semaines de plus ou de moins ? N’ai-je pas assez souffert, et le ciel ne m’a-t-il pas concédé enfin le droit d’entrer dans le repos ! D’ailleurs je dois rester ici pour confondre la haine de mes ennemis et pour donner un démenti à leurs prédictions. Ils ont espéré que je me soustrairais au martyre ; ils seront déçus de leur attente. Il n’est pas inutile que le monde aperçoive quelque différence entre eux et moi. Les idées auxquelles je me suis vouée exigent de ma part une conduite exemplaire, pure de toute faiblesse, exempte de tout