Page:Sand - Les Beaux Messieurs de Bois-Dore vol1.djvu/131

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que je sais mal parler l’espagnol, et le français encore moins ; je dirai mon histoire à son écrivain, et il la lira.

« Je suis fille d’un pauvre fermier de la Catalogne. C’est en Catalogne que le peu de Mores épargnés par l’inquisition vivaient encore tranquilles, espérant qu’on les y laisserait gagner leur vie en travaillant, puisque nous n’avions pris part à aucune des guerres de ces derniers temps, si malheureux pour nos frères des autres provinces d’Espagne.

» Mon père s’appelait Yésid en arabe, et Juan on espagnol ; moi, baptisée par aspersion comme les autres, j’étais la chrétienne Mercédès, mais la morisque Ssobyha [1].

» J’ai à présent trente ans. J’en avais treize quand on commença à nous avertir secrètement que nous allions être chassés et dépouillés à notre tour.

» Déjà, avant ma naissance, le terrible roi Philippe II avait ordonné que, dans le délai de trois ans, tous les Morisques devaient savoir la langue castillane et ne plus parler, lire ou écrire en arabe, publiquement ou secrètement ; « que tous les contrats en cette langue seraient nuls ; que tous nos livres seraient brûlés ; « que nous quitterions nos costumes pour porter ceux des chrétiens ; »que les femmes morisques sortiraient sans voile, le visage découvert ; »que nous n’aurions ni fêtes ni danses, ni chants nationaux ; « que nous perdrions nos noms de famille et d’individu pour prendre des noms chrétiens ; que ni hommes, ni femmes morisques ne pourraient plus se baigner à l’avenir, et que nos bains seraient détruits dans nos maisons.

  1. Aurore.