Page:Sand - Les Beaux Messieurs de Bois-Dore vol1.djvu/58

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

persuasif, qu’il sentit le bras de Lauriane tressaillir, s’arracher du sien, et, en même temps, il la vit pâlir et reculer.

— Qu’est-ce donc ? s’écria-t-il en tâchant de reprendre son bras.

— Rien, rien, dit-elle en s’efforçant de sourire. J’ai vu là une couleuvre dans les joncs, j’ai eu peur ; je vais appeler mon père pour la tuer.

Et elle se mit à courir vers M. de Beuvre, laissant d’Alvimar battre avec sa canne les joncs du talus pour chercher la maudite bête.

Mais aucune bête, laide ou belle, ne se montra, et, quand il chercha des yeux madame de Beuvre, il la vit quitter le jardin et rentrer dans le préau.

— Voilà une herbe sensitive, pensa-t-il en la regardant s’éloigner, soit qu’elle ait peur du serpent, soit plutôt que mes paroles aient causé ce trouble soudain… Ah ! pourquoi les reines et les princesses, qui tiennent en leurs mains les hautes destinées, n’ont-elles pas cette amoureuse candeur des petites dames de campagne !

Pendant que sa vanité expliquait ainsi l’émotion de Lauriane, celle-ci était montée à la chapelle de Charlotte d’Albret, non pour prier, elle ne fréquentait pas cet oratoire catholique, ordinairement fermé comme le sanctuaire d’une mémoire respectable, mais pour s’assurer d’un fait qui venait de la bouleverser.

Il y avait, dans cette petite chapelle, un portrait déjà bien noirci et bien enfumé par les années, que l’on ne montrait jamais à personne, mais que l’on gardait là où on l’avait trouvé, par respect pour l’arrangement des choses qui avaient été à l’usage de la sainte de la famille.