Page:Sand - Les Deux Freres.djvu/135

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas le chemin qui abrége : j’ai suivi, comme j’ai pu, les détours de la Jordanne, ça m’a amusé de grimper et de dégringoler dans des casse-cous. Enfin me voilà et je suis sauvé. Ma mère est tout de bon ici, je ne serai pas accusé de mensonge. Il n’y a pas de monstre à Flamarande ; au contraire, Charlotte est jolie pour trois. J’ai encore des souliers aux pieds malgré les roches pointues qui m’ont menacé d’arriver déchaux comme un carme. Je suis content de ma petite promenade, mais j’ai une faim de crocodile, et, si Michelin a quelque chose à me donner, je déclarerai qu’il est un chérubin.

— Tout de suite ! s’écria Espérance en s’élançant hors de la chambre d’un air joyeux.

Resté seul avec Roger, que je m’occupais d’installer dans sa chambre, je pensais devoir mettre le temps à profit pour pénétrer ses desseins. Je feignis de ne pas croire aux monstres de Léville, et je prétendis que le jeune comte n’était attiré à Flamarande que par les beaux yeux de Charlotte. Il ne le nia pas, je vis qu’il mentait pour me donner le change ; je le régalai du plus ennuyeux des sermons pour le pousser à bout, j’y réussis. Celui-là ne savait ni feindre ni se contenir.

— Va au diable avec ta morale, dont je n’ai nul besoin, me dit-il. Tu sais fort bien que je ne dois pas, que je ne peux pas penser à Charlotte ; ce serait à moi de te chapitrer, et, puisque tu le prends