Page:Sand - Les Deux Freres.djvu/159

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— Je vais vous dire, reprit Roger, quel homme est M. Ferras, car vous ne le connaissez pas ; non, pas même toi, Charles, qui l’as vu pendant douze ans dans l’intimité, et qui te crois très-pénétrant. Eh bien, M. Ferras, qui a l’air d’un bonhomme indifférent à tout ce qui n’est pas la bibliomanie et le jeu d’échecs, est beaucoup plus fin que toi. Il n’a jamais eu d’épanchements avec toi ; bien que tu aies beaucoup provoqué sa confiance, tu n’as pas pu l’obtenir, et tu en as conclu qu’il était froid ou nul. Le fait est qu’il n’approuvait pas ta conduite dans l’affaire de Gaston. Il pensait que tu es honnête et bon, mais imbu de certains préjugés et trop dévoué à mon père pour l’être sans réserve à ma mère. Enfin il avait combattu la confiance que ma mère mettait en toi, et il ne l’a jamais partagée absolument ; mais jamais il n’avait provoqué en moi le moindre souvenir d’enfance relatif à mon frère, dont il croyait l’avenir entièrement sacrifié. Quand, il y a quinze jours, nous avons appris à Odessa par télégramme la mort de mon père, j’ai remarqué en lui un changement extraordinaire, et lui qui ne m’a jamais fait ce qu’on appelle un sermon, lui qui procède toujours par courtes sentences, assez incisives sous leur apparente douceur, il s’est mis tout à coup à me parler avec abandon. Il m’a repris ouvertement de ma légèreté, de ma prodigalité, et m’a fait entendre que je n’allais pas entrer en possession d’une aussi grande fortune