Page:Sand - Les Deux Freres.djvu/188

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y joignant les mots coupés ; puis il me dit avec un sourire accablant :

— Ceci vous prouve, monsieur Charles, que j’ai toujours été un insensé, pour ne pas dire un maladroit. Dans ma jeunesse, épris d’une femme adorable, je serais mort plutôt que de lui laisser soupçonner mon amour, et elle ne l’a pas soupçonné avant d’en connaître les funestes conséquences ; mais moi, la croyant partie, croyant que je ne la reverrais jamais, amoureux d’un souvenir, d’un parfum, j’entrais la nuit dans sa chambre pour y ramasser une fleur… Je faisais, par cette action romanesque, le malheur de toute sa vie ; plus tard, pensant avoir tout réparé en sacrifiant la mienne à son fils, je cachais dans mon sein trois mots de son écriture avec l’autre relique, le bouquet maculé par mon sang, et cet humble trésor devait m’être ravi par l’espion du mari et devenir une arme entre ses mains ! Vraiment, ajouta-t-il avec un rire amer, je n’ai pas de chance, comme on dit vulgairement, et c’est trop d’être deux fois si cruellement puni pour deux fautes qui ne m’ont rapporté que la honte d’être dépouillé par un lâche et le désespoir d’avoir fait le malheur d’une famille !

Il marcha dans la chambre, passant la main sur son front, comme s’il eût voulu arracher ses cheveux blanchis par la douleur ; puis tout à coup il s’arrêta, sourit et parut illuminé d’une joie soudaine.