Page:Sand - Les Deux Freres.djvu/189

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— Mais non, dit-il, je blasphème, et il ne faut pas blasphémer devant les athées. Évidemment vous ne croyez qu’au mal, vous, malheureux serviteur avili d’une mauvaise cause ! Je vous plains, car, au point culminant d’une vie de sacrifice, ne voyant derrière moi que regrets ou tortures, et devant moi qu’une vie de labeur solitaire, je me sens plus que jamais soutenu par une force victorieuse. J’ai voulu réparer, j’ai réparé ! J’ai renoncé à tous les enivrements de la vie, à l’éclat de la fortune, aux ambitions de la jeunesse comme à celles de la virilité, au plaisir, à l’activité, à la gloire, au mariage, à l’amour ! Je me suis fait anachorète. J’ai servi obscurément la science, j’ai caché à celle que j’aimais la blessure incurable de mon âme pour ne pas ajouter à la sienne. J’ai retrouvé la joie intérieure de la conscience, j’ai été plus utile que si j’avais servi une cause politique ou secondé l’action des hommes actifs de mon temps ; j’ai élevé l’enfant de l’homme injuste qui l’avait condamné aux ténèbres. Je l’ai fait vivre dans la lumière, j’en ai fait un homme de cœur, un homme de bien, un homme de savoir. Je l’ai rendu à sa mère et je le lui ai rendu digne d’elle. Non, je ne suis point à plaindre, je n’ai pas le droit de me croire malheureux. Si je n’ai pas été assez fort pour arracher de mon cœur un sentiment funeste, j’ai été du moins assez fort pour le taire, et il est resté en moi, grâce à Dieu, aussi pur que le premier jour. Est-ce de