Page:Sand - Les Deux Freres.djvu/202

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courus vers le manoir, et sur le seuil je rencontrai Ambroise.

— Qu’est-ce que c’est ? lui dis-je. Est-ce un des chevaux de la ferme attaqué au pâturage par des loups ?

— Non, non, répondit-il, ce n’est pas ça. C’est quelque chose de plus contrariant : c’est M. Roger qui a pris fantaisie de se promener avant le jour. Je ne dormais pas, je l’ai vu entrer dans l’écurie avec une lumière et en sortir avec le bidet du père Michelin, qu’il avait sellé lui-même ; une bonne bête, mais un peu folâtre, qui se défendra s’il la bouscule. Tout le monde dort encore, et, comme il avait laissé sa bougie allumée à l’entrée de l’écurie, j’ai eu crainte du feu et je suis descendu malgré ma fièvre. Alors, en refermant la porte de la cour, j’ai vu que M. Roger prenait un chemin où les chevaux ne passent point facilement, et j’ai crié après lui ; mais il n’a rien entendu, et il a pris le galop. Comment faire pour courir après lui ? Il faudrait des jambes de quinze ans, et encore !

— Il y a sans doute un autre cheval à l’écurie, je vais le prendre.

— Il y a le poulichon d’Espérance, mais il est encore plus fou ; il n’y a que lui pour le monter.

— N’importe, m’écriai-je, je le prendrai !

Je courus vers l’écurie, et, avec l’aide du pauvre Ambroise, tout tremblotant de fièvre, je sellai la jeune bête, qui ne se laissa pas faire volontiers.