Page:Sand - Les Don Juan de village.pdf/108

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suis pas indigne d’embrasser cette enfant-là ? Elle embrasse Mariette et tend la main, à Blanchon.)

BLANCHON.

Ah ! merci, Gervaise !

GERMINET.

Tout ça, c’est bien ! ça va bien ! c’est comme je l’avais prédit au garde. Ma fille restera fille, mais on saura qu’elle l’a voulu et qu’elle a refusé les deux hommes qui lui ont attiré le scandale.

JEAN, qui a son couteau de poche à la main et qui a entaillé le bois de la table avec colère et préoccupation.

Eh bien, non, Germinet, vous m’accorderez mon pardon, vous ! (Il pose son couteau machinalement sur la table.)

GERMINET.

Moi ? Passez votre chemin, monsieur le coq du clocher ! nos poules vous craignent plus.

JEAN.

Gervaise, tu veux donc que j’en meure ?

GERVAISE.

Que vous… ? Non, Jean, vous n’en mourrez point, et votre peine sera tôt passée ! Vous pouvez vous en aller d’ici, on n’a plus rien à vous dire.

JEAN.

Ah ! c’est comme ça que tu m’aimais ! et j’ai cru, moi… Eh bien, c’est trop de honte et de chagrin. C’est plus que je n’en peux porter, moi qui ne connaissais pas ça. Vous me détestez et vous me méprisez, Gervaise ? c’est votre dernier mot ?… Alors, qu’est-ce que c’est qu’un homme qui aime sans être aimé ? C’est un homme de trop sur la terre. (Se frappant le front.) Ah ! c’te blessure qui aurait dû me tuer !… dire que ça n’est rien ! La mort a pas voulu de moi… (voyant son couteau sur la table.) Mais je saurai bien la forcer de me prendre…

GERVAISE, avec terreur, lui voyant saisir le couteau.

Jean !…

Un cri général. Blanchon s’élance et retient le bras de Jean, tandis que Gervaise se jette sur sa poitrine. Mariette tombe à genoux.