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Les Maîtres Sonneurs

— Pourquoi donc ça, s’il vous plaît ? fit-il encore sans perdre une miette de son assurance. Vous êtes fâché que j’entre chez vous sans permission ? Pourquoi n’y étiez-vous point ? J’ai frappé à la porte, j’ai demandé du feu, ça ne se refuse jamais. Qui ne répond consent, j’ai poussé le loquet. Pourquoi n’avez-vous point de serrure, si vous craignez les voleurs ? J’ai regardé vers les lits, j’ai trouvé maison vide ; j’ai allumé ma pipe, et me voilà. Qu’est-ce que vous avez à dire ?

En parlant comme je vous dis, il prit son fusil dans sa main comme pour en examiner la batterie, mais c’était bien pour me dire : — Si vous êtes armé, je le suis pareillement, et nous serons à deux de jeu.

J’eus l’idée de le coucher en joue pour le tenir en respect ; mais, à mesure que je regardais sa figure noircie, je lui trouvais un air si ouvert et un œil éveillé si bon enfant, que je sentais moins de colère que de fierté ; C’était un jeune homme de vingt-cinq ans tout au plus, grand et fort, et qui, rasé et lavé, pouvait être joli garçon. Je posai mon fusil au long du mur, et, m’approchant de lui sans crainte :

— Causons, lui dis-je en m’asseyant à son côté.

— À vos souhaits, fit-il, posant pareillement son arme.

— C’est vous qu’on nomme Huriel ?

— Et vous Etienne Depardieu ?

— D’où savez-vous mon nom ?

— D’où vous savez le mien : de notre petit ami Joseph Picot.

— C’est donc à vous les mulets que je viens de prendre ?

— Que vous venez de prendre ? fit-il en se levant, à moitié, d’étonnement. Puis, se mettant à rire : — Vous plaisantez ! On ne prend pas mes mulets comme ça.

— Si fait, lui répondis-je, on les prend en emmenant le clairin.